Mai 23

Rapa Nui (Ile de Pâques)

par dans Chili

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Après 4h40 de vol depuis Santiago, nous atterrissons sur la piste aménagée dans les années soixante-dix par la Nasa pour y poser ses navettes spatiales en cas d’urgence !

L’essor touristique de l’Ile de Pâques date de cette époque, les gros porteurs pouvant alors se poser sur cet îlot isolé. C’est la terre habitée la plus isolée au monde en fait : à l’est, les côtes chiliennes sont à 3 700 km ; à l’ouest, Tahiti est à 4 000 km ; au nord, les Galapagos sont à 3 800 km et, au sud, l’Antarctique est à 5 000 km.

Dès l’arrivée, on devine la nature volcanique de l’île, il y a des cônes partout ! L’île elle-même n’est en fait que la partie émergée d’une chaîne de montagnes sous-marine. Trois volcans, à présent éteints, se sont formés là et leurs pentes ont fini par se rejoindre pour créer ce petit bout de terre de 162 km2  qui ne fait pas plus de 23 km de long.

De l’avion, on descend directement sur le tarmac et, passés quelques mètres, Lori et Oscar, les propriétaires de notre guesthouse, nous passent des colliers de fleurs autour du cou ! Il fait chaud, l’ambiance est très polynésienne, c’est une bonne surprise après la grise Santiago.

A Hanga Roa, l’unique village de l’île, l’ambiance est positivement nonchalante. Una buena onda (good vibe) se dégage. C’est une petite campagne tropicale détendue, par endroit un peu grunge. Pas mal de monde se balade à cheval, forcément tout le monde se connaît et se salue. Même les chiens sont friendly, ils adorent accompagner les marcheurs, ça les promène !

Malheureusement, ce n’est qu’un sentiment de surface… Les relations entre rapa nui et chiliens sont conflictuelles. Nos hôtes, des militants convaincus, nous brieffent sur leurs revendications, que l’on retrouve d’ailleurs placardées dans la ville pour informer les touristes de passage qui, comme nous, n’ont aucune idée de cette lutte en cours. Lorsqu’en 1888, le Chili annexe l’île de Pâques, il parque les rapa nui dans une réserve (l’actuelle capitale) représentant 6% du territoire tandis qu’il loue le reste de l’île a une entreprise étrangère de lainage qui y fait paître ses moutons. Ce n’est qu’en 1966 que les 500 rapa nui sont autorisés à quitter la réserve et uniquement depuis peu qu’ils sont autorisés à parler leur langue ! Si aujourd’hui l’île a un statut de territorial spécial, la question de la propriété de la terre n’est toujours pas résolue entre les 5 000 habitants, dont la moité sont chiliens.

Pour l’historienne de formation que je suis, cette île est décidément complexe sous bien des aspects :

  • des origines incertaines : entre l’an 400 et l’an 800, les premiers peuplements sont polynésiens mais peut-être aussi incas ;
  • des théories contradictoires sur la fabrication, le transport et l’élévation des moais, les fameuses statues monumentales : certains pensent que de grandes quantités de bois étaient indispensables, d’autres pas ;
  • de nombreuses thèses expliquant la dégradation environnementale qu’a connue l’île à partir du XVIIe siècle : déforestation, sécheresse, prolifération de rats détruisant la végétation ;
  • de multiples hypothèses sur le conflit social ayant abouti au renversement des statues : famines, guerres claniques pour l’accès aux ressources, révoltes internes contre les prêtres, réorganisation politico-religieuse.

L’île est longtemps restée protégée des convoitises. En 1687, un pirate britannique l’aperçoit mais n’y débarque pas ;  le jour de Pâques 1722, alors qu’elle compte encore au moins 3 000 habitants, elle est visitée par un navigateur hollandais qui la baptise mais passe son chemin.

Si l’on sait si peu de choses avec certitude sur l’île de Pâques c’est parce qu’au XIXe siècle, la population a été décimée par les péruviens venus enlever les insulaires pour les réduire en esclave au Pérou. La plupart des rapa nui sont morts aux travaux forcés tandis que les rares qui en sont revenus ont ramené sur l’île des maladies dévastatrices. La population s’est alors trouvée réduite à une centaine d’individus provoquant une rupture des traditions orales et écrites (un système d’écriture complexe existait mais sa compréhension s’est perdue avec la disparition des élites).

Ce que l’on sait, c’est que les moais étaient des statues commémoratives représentant des ancêtres divinisés au sein d’un modèle politique basé sur la parenté. Elles étaient commandées par les chefs de clans qui, cherchant à accroître les démonstration de leur pouvoir, les ont souhaitées de plus en plus grandes. Il y en a 900 sur l’île dont 400 inachevées. Elles sont toutes différentes. Leurs tailles et les visages représentés ne sont jamais identiques. Leurs yeux blancs étaient faits de coraux et leurs iris, rouges ou noirs, de tuf volcanique ou d’obsidienne. Tournés vers l’intérieur de l’île, les moais étaient censés protéger les populations du monde extérieur. Ils étaient dressés le long des cotes sur des ahû, des terrasses sacrées servant de lieu de sépulture.

Bref, après nous être pas mal documentés, et avoir pris nos marques dans notre nouveau sweet home, nous partons vers la pointe sud de l’île pour notre première journée de randonnée. Le climat, l’ambiance et les gens évoquent la Polynésie mais on est loin d’un paysage de lagon paisible. L’absence de barrière de corail protectrice au large de l’île dessine une côte toute déchiquetée. La roche volcanique sombre contraste avec les grosses vagues aux couleurs bleues glacier.

La montée vers le site cérémonial d’Orongo nous réserve une surprise de taille… le cratère du volcan Rano Kau renferme un lac d’eau douce parsemé de roseaux. La mer en toile de fonds derrière un des flancs effondrés… c’est sublime !

Sur le site de l’ancien village d’Orongo, on découvre comment les rapa nui ont réorganisé leurs structures religieuses et politiques pour préserver les ressources de leur île menacée. Il semble qu’ils aient progressivement abandonné l’érection des moais (liés à des entités familiales ou claniques) au profit d’un culte dit de l’homme-oiseau permettant d’asseoir une autorité unique sur l’ensemble de la population. Chaque année, à l’arrivée des sternes noirs (une hirondelle des mers aujourd’hui très rare), le représentant du clan qui rapportait le premier l’un des œufs pondus sur un îlot au large, intronisait un chef pour un an qui était chargé de répartir les richesses au sein des clans. Ce culte disparaîtra à la fin du XIXe siècle avec les déportations massives vers le Pérou et l’évangélisation des missionnaires catholiques.

Après cette visite, nous retournons au village par la péninsule en marchant le long de la mer sur un terrain sauvage. Il n’y a plus de sentier, on se demande si on va vraiment dans la bonne direction même si le risque de se perdre est assez limité. On réalise surtout que la carte officielle de l’île n’est pas vraiment à l’échelle. Notre balade est du coup plus longue que prévue. On rentre les jambes en compote mais heureux comme tout !

Le lendemain, nous repartons pour une autre grosse rando de 7 heures. Sur la cote ouest cette fois ci. Le ciel est tourmenté mais ne nous empêche pas de profiter de la balade côtière et de découvrir les tunnels de lave qui forment des grottes débouchant sur la mer.

En chemin, un nouveau chien nous accompagne. Tout jeune, tout fou fou, très en forme, il s’amuse à courir après les poules dans les champs et parvient à en attraper une qu’il nous ramène comme une offrande… pauvre poule… il n’en fera même pas son déjeuner.

Lorsqu’on arrive sur le site d’Ahu A Kivi, sous le volcan Maunga Tere Vaka, le soleil s’est levé sur l’alignement des moais représentant les 7 premiers découvreurs de l’île.

On reste là un bon moment, à observer ces impressionnantes statues. La lumière est magnifique. Un guide captivant explique à son petit groupe que c’est un site très particulier. Contrairement aux autres, les moais sont ici dans les terres  (et non sur la côte), et tournés vers la mer (et non dos à la mer), en direction des îles d’où venaient les 7 éclaireurs partis en mission pour un roi polynésien qui accostera ensuite avec sa suite, les plantes et les animaux nécessaires à leur survie (il n’y avait aucun animal autochtone sur l’île).

Nous entamons ensuite la descente vers le village toujours en compagnie de « notre » chien. Le paysage de petits volcans arrondis est très beau, très doux, très différent de la côte tourmentée.

De retour sur la route goudronnée, on se rend compte qu’une fois encore la carte n’est sans doute pas à l’échelle et que la distance restante pour retourner au village est beaucoup plus grande que ce que nous pensions. Arrive alors un vieux monsieur avec son pick-up qui s’arrête pour nous proposer de nous ramener au village. Nous embrassons « notre chien », surpris de nous voir déjà le quitter, sous les yeux amusés du vieux monsieur. Sans lui, nous serions arrivés avec la nuit… le village était encore bien loin !

Le troisième jour, pour la visite des cotes sud-est et nord, un 4×4 s’impose. Benjamin est tout content de retrouver un volant et surtout un véhicule adapté aux pistes très chaotiques de l’île ! Il s’amuse comme un petit fou avec sa Titine 4×4 !

Nous commençons par le petit volcan de Puna Pau qui servait de carrière pour y extraire la pierre rouge permettant la réalisation des chapeaux ou bandeaux ou coiffure-chigons portés par certains moais. Encore une fois, pas de consensus archéologiques sur la question.

La côte est recouverte de sites, c’est impressionnant. Parfois une statue est érigée en solitaire mais le plus souvent se sont de grandes statues couchées, tombées de toute leur hauteur face contre terre.

Après avoir contourné la péninsule du volcan Po Ike, on découvre les pétroglyphes du site de Papa Vaka. Mais c’est en arrivant sur le site de Tongariki que l’on reste vraiment bouche bée. Un alignement de 15 moais se tient là, près du rivage. Un mécénat japonais a permis de restaurer le site après qu’en 1960 un tsunami ait éparpillé les statues sur des centaines de mètres dans les terres.

Pour déjeuner, la plage de Ana Kena, sur la côte nord, est un spot idéal. L’île dévoile ici un aspect paradisiaque : une mer très calme, une plage de sable blanc, des eaux turquoises, des cocotiers et toujours quelques moais.

En fin d’après-midi, alors que la lumière est la plus belle, et que le site est à présent désert, nous poursuivons notre journée par le volcan Rano Raraku. C’est exceptionnel !!! Les pentes du volcan sont plus qu’une simple carrière, c’est un véritable atelier de sculpteurs à ciel ouvert ! La malléabilité du tuf (des cendres volcaniques compactées) permettait la réalisation des moais à même la roche. Il reste sur le site des centaines de statues en cours de réalisation à divers stades de fabrication, de l’ébauche à même la pierre à l’état terminé, plantées dans le sol.

Si les statues font en moyenne 4 mètres de haut pour 14 tonnes, le plus grand moai, inachevé, mesure 21 mètres pour un poids estimé de 270 tonnes ! Pour sculpter une statue de 12 mètres, il fallait 30 hommes et 12 mois de travail puis 90 hommes et 2 mois et pour le déplacer sur plusieurs kilomètres, et enfin 90 hommes et 5 mois pour l’ériger sur sa plate-forme !

Le cratère du volcan nous réserve aussi des surprises. De nouveaux moais mais surtout un troupeau de chevaux semi-sauvages qui arrive quelques minutes après nous pour boire au lac d’eau douce ! C’est pour nous une émotion incroyable, aussi forte que celle du coucher de soleil aux Flinders Ranges, en Australie.

Complètement envoûtés par l’île, nous rejoignons le village pour assister au coucher du soleil sur le site de Tahai, un incontournable.

Le quatrième jour, nous nous accordons une journée de farniente. Sachant qu’une journée off, c’est souvent pour nous une journée d’intendance pour préparer la suite du voyage. Après avoir grossièrement arrêté l’itinéraire péruvien, nous nous régalons d’un délicieux poisson grillé dans un petit restaurant. Le seul hic de l’île de Pâques c’est la rareté des produits disponibles. Les touristes ramènent souvent leur propre vivres du continent, la nourriture importée étant particulièrement chère.

Le dernier jour on se balade, on retourne au restau délicieux et on visite le musée anthropologique qui confirme que les données scientifiques avérées sur l’île de Pâques sont encore embryonnaires… Bien qu’ayant recoupé les sources, il n’est pas impossible que, sans le vouloir, j’ai raconté des bêtises plus haut… la plupart des aspects majeurs de cette civilisation sont sans doute condamnés à rester bien mystérieux…

Les photos sont ici !

[itineraire_plot_stw zoom=10 center=Paques]Ile de Paques[/itineraire_plot_stw]

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14 Commentaires sur “Rapa Nui (Ile de Pâques)”

  1. De :

    je voulais vous laisser un petit message sur votre dernier post à l’Île de Pâques, mais ce n’est pas possible : « Comments are closed. » C’est un bug ou une volonté de votre part…
    en tout cas, je me suis régalée, c’est fort instructif, et les photos !!! Magnifiques !
    Bisous les amoureux voyageurs !

    Posté le 23 mai 2012 à 15:11 #
    • De :

      Il y avait un mauvais paramétrage sur l’article. C’est corrigé et j’ai déplacé ton commentaire.

      Posté le 23 mai 2012 à 15:14 #
      • De :

        encore une preuve, s’il en fallait une : que je vous suis ! ;-))) J’aime pas : j’adore ce que vous faites ! bisous, bisous

        Posté le 23 mai 2012 à 15:21 #
        • De :

          Nous n’en doutions pas !
          En tout cas, tes éloges vont droit au coeur de Cécile! Elle s’est donnée du mal pour écrire cet article !
          Merci !
          Bises.

          Posté le 23 mai 2012 à 16:24 #
          • De :

            Je suis tellement admirative et reconnaissante, je ne me lasse pas de vous lire avec grand intérêt, et j’ai bien conscience que c’est le fruit d’un énorme travail d’écriture et de pédagogie.
            Je me réjouis de vous retrouver avec vos photos, et j’adore vous y découvrir, vous rayonnez de bonheur, je ne me lasse pas de vivre par procuration toutes vos étapes.
            Félicitation et merci pour tout ce bonheur !
            Ps : on a eu une pensée pour vous hier soir lors de la super soirée d’anniv de Benoît ! Super votre photo ! Alban a assuré avec un pêle-mêle et un album de toutes les photos d’amis.
            Bisous les amours ! A très viiiiiiiite…

            Posté le 27 mai 2012 à 09:36 #
  2. De :

    Sicurmente Cecile, è stata male per cualche giorno per la pena di avere
    lasciato le Chien,io l’avrei guardato come compago e come guia turistica.
    grazie per le magnifiche fotografie dei paesaggi del chili.
    Vi abbraccio forte.Francois.

    Posté le 23 mai 2012 à 17:53 #
    • De :

      Ah oui, c’est vrai ça papa, j’étais bien triste de laisser le chien !
      Bisous

      Posté le 23 mai 2012 à 18:04 #
  3. De :

    Je rêve d’y aller. Bravo pour ton article, Cécile, je suis déjà envoûté par cette île rien qu’à te lire et à voir les photos. Profitez bien !

    Posté le 24 mai 2012 à 19:34 #
    • De :

      Heureuse d’apprendre que ce petit post confirme ton attrait pour cette île !
      Besos

      Posté le 31 mai 2012 à 02:50 #
  4. De :

    Magnifique voyage par de vrais amoureux de la terre :) Merci de nous le faire partager

    Posté le 3 juin 2012 à 02:16 #
  5. De :

    Une belle découverte qui pourrait peut être me faire changer d’avis sur l’Amérique du Sud…

    Posté le 3 juin 2012 à 17:28 #
    • De :

      Change d’avis ! Change d’avis ! Tu ne le regretteras pas !

      Posté le 4 juin 2012 à 19:46 #
    • De :

      Les moais qui marchent… une des théories en vigueur en effet.

      Posté le 27 juin 2012 à 15:35 #

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