Après notre rocambolesque trajet jusqu’à Potosi, nous découvrons une petite ville bien agréable pour les touristes mais au combien dure pour beaucoup de ses habitants…
Potosi, c’est la ville minière par excellence en Bolivie. Pas une ville rustre à la Coober Peddy, non, plutôt une ancienne ville coloniale pleine de beaux vestiges architecturaux.
La légende raconte que, bien avant l’arrivée des espagnols, un paysan qui faisait paître ses lamas sur une montagne en perdit un et passa la nuit à l’attendre. La montagne culminant à près de 4 800 mètres, il y faisait froid. Il alluma un feu et, au réveil, vit des veines d’argent affleurer le sol. La nouvelle se répandit. Les incas visitèrent cette montagne mais une forte explosion, probablement d’origine volcanique, leur fit penser que les dieux s’opposaient à son exploitation. Aussi, à l’arrivée des espagnols, le filon n’avait jamais été exploité. La montagne regorgeait d’argent.
Potosi fut fondée en 1545 par les conquistadors pour tirer profit de ce gisement qui devint l’une des principales sources de richesse de l’Empire. La ville devint la plus grande et la plus riche des Amériques… au prix de milliers d’esclaves africains et indiens condamnés au travail forcé et à une mort prématurée. Le métal précieux était transformé en monnaie à la Casa de la Moneda, maintenant un musée de première importance.
Nous avons la chance de n’être que tous les deux pour la visite guidée avec un conservateur parlant parfaitement français. Le musée est très complet. En plus des collections numismatiques et des machines-outils, nous découvrons une collection minéralogique ainsi que des momies effrayantes de jeunes enfants de colons. Il y en a décidément partout dans les Andes. Mais l’état de conservation de celles-ci, en raison de l’air très sec de la région, est à peine croyable. On peut à peine les regarder, ça glace le sang.
De retour dans les rues de Potosi, il est impossible de ne pas avoir les yeux rivés en permanence sur le Cerro Rico, la « montagne riche ». Après cinq siècles d’exploitation, ce sommet qui domine la ville ressemble à un gruyère percé anarchiquement de 600 mines (dont 120 sont toujours en activité).
Exploité sur 8 niveaux, le gisement pourrait encore être creusé sur 10 niveaux supplémentaires. Mais il faudrait pour cela passer à une exploitation à ciel ouvert du Cerro car les risques d’effondrement sont trop importants. Cette perspective, contraire au classement Unesco et à l’industrie touristique, divise les habitants de la région et entraîne souvent des conflits.
Si les réserves d’argent, de plomb et de zinc sont encore considérables elles se trouvent dans des filons inaccessibles sans technologie moderne. A l’exception de quelques grosses exploitations mécanisées, la montagne continue donc d’être creusée artisanalement pour de maigres profits. Les mineurs, organisés en coopératives autogérées qui louent des concessions à l’Etat, travaillent dans des conditions de sécurité archaïques et désastreuses. Il n’y a par exemple ni plan de mine, ni tunnel de sécurité et il se produit en moyenne jusqu’à quatre morts par mois parmi les mineurs, dont plusieurs centaines sont des enfants exerçant illégalement.
Aussi étrange que cela puisse paraître, la « visite » des mines en activité est une attraction touristique phare à Potosi. Elle se vend à un coût dérisoire. On a un peu de mal à comprendre les motivations des touristes. Le défi physique sans doute et le côté insolite de la chose. Certains sont probablement sincèrement motivés par la rencontre avec les mineurs mais peut-on objectivement croire que cette rencontre puisse s’opérer au sein d’un tour ? A-t-on besoin de pénétrer dans une mine dangereuse pour savoir que le travail y est inhumain et que l’espérance de vie des mineurs y est désespérément basse ? Est-ce que ça nous viendrait à l’idée en Europe de visiter une mine qui ne serait pas fermée et sécurisée ?
Nous, on ne s’est pas senti à l’aise avec le côté voyeuriste de ces tours, surtout que l’on se doute que les mineurs ne gagnent pas grand chose à cette industrie touristique. On a préféré regarder un excellent documentaire, The Devil’s miner. Il nous a fait découvrir des témoignages très émouvants, recueillis grâce à un long travail d’investigation du réalisateur, investi qui plus est dans la récolte de fonds pour aider les enfants mineurs de Potosi.
Parmi les aspects marquants du documentaire, l’auteur montre l’importance du Tío, une divinité des galeries mi-satan catholique mi-démon andin. On y voit comment les mineurs sacrifient des lamas pour lui offrir leur sang, et ainsi épargner le leur. Ce rite a lieu tous les ans, lors des trois derniers samedi de juin, pile lorsque nous y étions. Au quotidien, les statues personnifiant le protecteur de la mine sont nourries d’offrandes de cigarettes, de feuilles de coca et d’alcool.
Comme le montre les recherches de l’anthropologue Pascale Absi, si ces superstitions anciennes perdurent encore de nos jours c’est qu’elles sont chargées de sens moral et qu’elles œuvrent à la régulation sociale telles de véritables garde-fou contre l’ambition personnelle. Plus généralement, en Bolivie, les offrandes régulières à la Pachamama, la terre nourricière, sont très présentes et chaque marché a son petit stand aux sorcières.
Nous quittons Potosi plus que jamais conscients des chances que nous cumulons…
Sources photos El Tio :
http://www.telegraph.co.uk/travel/travel-writing-competition/8273417/Just-back-the-devil-of-Potosi.html
http://blog.travelpod.com/travel-photo/james511/1/1228771260/el-tio.jpg/tpod.html
[itineraire_plot_stw zoom=6 center=Potosi]Potosi[/itineraire_plot_stw]
De :
Merci pour ces informations sur la vie à Potosi. Je suis votre voyage et souvent apprécie vos reportages. C’est formidable pour moi qui n’est plus envie de voyager de recevoir des informations sur ces pays lointains comme si j’y étais allée!
Bonne continuation. F Marchetto.
De :
Merci Françoise, ça nous fait bien plaisir !